Disclaimer : cet article contient de léger spoil des jeux cités.
En ce mois de septembre, j’ai l’honneur d’être le premier à succéder à l’édito de Kippo pour cette nouvelle newsletter de l’équipe de Point’n Think. On court toujours après, souvent jusqu’à l'épuisement sans jamais vraiment réussir à le saisir. Le temps est la transposition du cycle de la nature rythmée par la révolution de la Lune et de la Terre. En plus de cela, l’être humain a tenté d’en prendre le contrôle en le subdivisant en notion quelque peu abstraite. Au-delà des minutes et précieuses secondes, le temps d’un café ou d’un battement de paupières est bien ancré dans l’inconscient collectif sans vraiment pouvoir le quantifier. Dans le médium qui nous intéresse, le jeu vidéo, tout n’est que cycle. Les boucles de gameplay, qu’elles soient micro ou macro, sont l’essence même de ce qui rend un jeu plaisant. Chaque itération apporte sa récompense et la récompense apporte l’envie de recommencer. Le cycle le plus palpable est celui de la mort qui vous ramène à la vie pour tenter de surpasser ce qui vous a mené au trépas autant de fois que nécessaire. Il y a un sous-genre qui s’y prête infiniment mieux que les autres. Le rogue-like ou lite, ici la finesse nous importe peu, sublime ce cycle sans fin tant que nous avons foi en nos capacités. La rejouabilité poussée à l'extrême où chaque tentative nous rends plus fort, in game ou IRL. Il n’a fallu qu’une étincelle pour que nos chères équipes de développeurs, tel le Big Bang primordial, fusionnent ces deux cercles vicieux dont nous sommes les véritables maîtres. Je vous propose donc de partir en quête de ce cliquetis infernal au cœur de nos tas de pixels. Asseyez-vous ! Notre machine à rechercher le temps va nous guider dans ces mondes où la mort n’est qu’un prétexte à décupler le plaisir.
Once upon a time
Avant de nous arrêter sur différents jeux et pour savoir de quoi l’on parle, le premier arrêt se fait aux saintes origines du rogue-li?e. Reprenons les bases, un rogue est un jeu dans lequel on part à l'assaut d’un donjon rempli d’opposants (oui je sais, il y a des variantes mais c’est moi qui raconte ! Nah !) et de trésors. Les items permettent d’améliorer ses stats pour progresser de niveau en niveau et de vaincre les boss qui nous barrent la route ponctuellement. Ce qui l'écarte du RPG traditionnel, c’est le permadeath (morte permanente en français), chaque fois que vos points de vie tombent à zéro, le jeu reprend du début laissant votre précieux équipement dans l’itération que vous venez de quitter. Et donc on recommence, plus ou moins, comme la première fois.
L’adam du genre est sans doute Beneath Apple Manor (1978) sur Apple II qui place les codes comme la génération procédurale, deux itérations ne se ressemblent pas, et la personnalisation des compétences du héros. Deux ans plus tard, Rogue (1980) arrive sur les terminaux UNIX. Le jeu, réalisé par deux étudiants, est celui qui donnera son nom à ce sous-genre dont nous allons parler. Son succès va conduire d’autres développeurs à en faire leur version [Hack (1982), Moria (1983)].
It’s all about time
Nous ne sommes pas là pour retracer toute l’histoire qui mène à pléthore de jeux modernes. Ce qui nous intéresse ce mois-ci, c’est le temps et comment il infuse dans nos usines à cadavre préférées. Dans mon approche, j’ai divisé le traitement du temps dans les rogue-li?e en trois catégories : le gameplay, la personnification et le lore. Je prendrais comme exemple deux jeux par catégorie afin d’illustrer mes propos. Pour cela, je vais être obligé de spoiler un peu en citant des boss de fin ou des éléments d’histoire sans pour autant gâcher d’éventuels twists. Nous verrons que la notion de temps est très présente. Comme je le disais en introduction, il est assez logique de jouer avec ce principe quand le gameplay est centré sur un système de boucle. De plus, je vais tenter de rattacher ces différents traitements du temps à la relation qu'entretient l’humanité avec ce dernier.
Faster, Harder, Stronger
Commençons d’abord par la partie la plus technique, l’impact du temps directement sur le gameplay. Pour cela, nous allons aborder The Binding Of Isaac et Dead Cells. Dans ces deux titres, le temps va à rebours. Le but est clairement d'accélérer le jeu pour pousser le joueur à l’erreur et ces jeux le font de deux manières différentes mais terriblement efficaces.
Dans The Binding of Isaac, jeu connu notamment pour un grand nombre de secrets à débloquer, certaines sections du jeu sont accessibles si l’on arrive à réaliser une action dans un temps imparti. Par exemple, pour avoir une chance de réaliser le fameux Boss rush, un enchaînement de quinze vagues constituées chacune de deux boss, il faut réussir à vaincre Mom (un boss) en moins de vingt minutes. Du côté de Dead Cells, le célèbre titre français, le timer ne vous donne pas accès à du contenu supplémentaire. Cette fois-ci, nous devons terminer un niveau dans le temps imparti afin d’avoir une salle bonus dans l’entre-niveau qui permet de se renforcer pour la suite du jeu. On notera également la présence d’un niveau sur la thématique du temps, symbole qu’il occupe une partie importante dans l’esprit des développeurs.
Comme je le disais plus haut, ici le but est d’augmenter le rythme du jeu pour ne pas donner au joueur le luxe d’avancer avec prudence. Seule la connaissance du jeu et de ses mécaniques garantit la réalisation de ces objectifs. C’est donc une incitation à maîtriser et donc à multiplier les runs, ce qui est le nerf de la guerre quand on veut qu’un rogue-li?e soit efficace. Vous savez cette envie irrépressible de relancer la partie après chaque mort, c’est un des points de game design les plus importants afin de supprimer la frustration de la mort.
On peut facilement relier cette mécanique à notre course effrénée pour ne pas perdre de temps. Comme on peut le lire dans le livre “ Accélération : une critique sociale du temps.” du sociologue et philosophe Hartmut Rosa, la modernité de notre société a conduit à une accélération du temps. Plus on le maîtrise, plus le temps nous manque alors que l’on nous explique, de manière irrationnelle, que c’est notre manque d’organisation qui pose problème. Nous ne sommes qu’un lapin qui court après un concept impalpable que nous ne rattraperons jamais.
Show me time
Il est dans la nature humaine de vouloir concrétiser des concepts abstraits. Concernant le temps, je ne vais pas vous parler d’horloge, de cadran solaire ou tout autre appareil de mesure. Nous allons plutôt nous diriger vers les divinités ou autres personnages qui permettent la représentation du temps.
Commençons par Hades II, toujours en early access au moment où j’écris ces lignes, ce rogue nous invite à dessouder une grande quantité de personnages de la mythologie grecque. Celle-ci à, bien sûr, sa divinité qui maîtrise le temps, j’ai nommé le titan Chronos, père d'Hadès. Je vois arriver les fous furieux de Grèce antique, je ne vais pas entamer la lutte Chronos versus Kronos, basons nous sur la vision des développeurs. Le titan est donc leur représentation du temps.
Have a nice death, dans lequel on incarne la mort en plein burnout qui cherche à reprendre le contrôle de son industrie des âmes, le temps à son propre bureau et nous devrons le terrasser pour ne pas être renvoyé en arrière et tout recommencer. Nous avons ici, la représentation plus moderne du vieux à la barbe digne du père Fouras, qui ne se laissera pas faire.
Ainsi, deux personnifications, assez éloignées dans l’histoire de l’humanité, mais qui montre assez bien que toute période à son iconographie du temps. C’est là, la preuve de la fascination que lui voue l’être humain depuis qu’il a été capable d’appréhender ce concept. Si nous partons du côté des Fleurs du Mal de notre cher Baudelaire, on trouve plusieurs poèmes dans lesquels l’auteur donne sa vision du combat contre le temps. Selon lui, l’Homme est dévoré et finit par succomber. On retrouve cette lutte contre la mort présente dans les jeux vidéo, sauf que chez le poète, il n’y a pas de good ending.
Tell me about time
Dans cette troisième et dernière catégorie, nous allons parler de lore. L’aspect narratif est de plus en plus présent dans les Rogue-li?e. Le genre étant à la mode, son univers est une manière de se démarquer des autres. On voit donc de plus en plus de jeux mettre en avant cet aspect avant même de parler de gameplay, allant même jusqu’à disséminer des clefs de compréhension au fur et à mesure des runs.
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